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Piotr Smolar : On peut
considérer que ce scrutin ne correspond nullement aux normes démocratiques, ni dans le déroulement de la campagne, ni dans la tenue même de l'élection. Au cours de la campagne, les chaînes de télévision fédérales, principales sources d'information d'une grande majorité des Russes ont orchestré un soutien permanent et unicolore en faveur de Vladimir Poutine . Quant au scrutin lui-même hier, les milliers d'observateurs mobilisés par l'opposition et l'ONG Golos ont constaté dans tout le pays de très nombreuses infractions.Remi Chapotot : A-t-on des informations sur les "véritables" résultats de l'élection ? Une source fiable indique-t-elle quels auraient été les résultats sans les fraudes, bourrages d'urnes et autre "manèges" ?
Personne ne peut
établir scientifiquement la part des fraudes dans le résultat final. En revanche, il convient de faire deux remarques. La première concerne le résultat dans la capitale Moscou où Vladimir Poutine obtient 47 %. Ce score très inférieur à sa moyenne nationale n'en reste pas moins très étonnant. Moscou est le véritable poumon de la contestation engagée depuis les législatives de décembre. La deuxième remarque concerne le soutien réel dont bénéficie Vladimir Poutine dans le pays. Même en l'absence de fraude majeure, il est fort à parier qu'il aurait tout de même été élu président. La vraie question est de savoir si les électeurs russes ont été privés d'un second tour à cause des fraudes.Ozy : Malgré les fraudes constatées lors de ces élections, le pourcentage annoncé montre qu'une forte partie du peuple russe, au-delà des classiques oligarques faibles numériquement, continue de
vouloir porter Poutine au pouvoir : qui sont ces électeurs ?On a l'habitude d'
opposer la Russie des grands centres urbains ouverte sur le monde et adepte des nouveaux médias à une Russie rurale qui aurait peur des bouleversements et serait acquise au pouvoir en place, quel qu'il soit. Cette opposition n'est que partiellement vraie. Ces dernières années, dans les régions russes, on a assisté à l'émergence de contestations sociales très localisées dans lesquelles des ouvriers, des citoyens dénonçaient leurs conditions de travail ou des abus administratifs ainsi que les privilèges de leurs dirigeants.JM : Pourquoi
avoir besoin de truquer les élections si l'opposition est si peu organisée et fiable, comme j'ai cru le lire ?Parce que telle est la pratique en Russie depuis près de vingt ans. Un moment clé a été la réélection de
Boris Eltsine en 1996. Il faut se souvenir que sa popularité était au plus bas trois mois avant le scrutin. Il l'a finalement emporté devant le candidat communiste qui était déjà à l'époque Guennadi Ziouganov , grâce à une propagande des chaînes de télévision et à des fraudes massives. Depuis, cette pratique des fraudes a subsisté. Le mouvement de contestation après les législatives de décembre a été une surprise pour tout le monde par son ampleur. Pour la première fois, des dizaines de milliers de citoyens russes ont refusé de participer à une parodie démocratique.hervé loriau : Le printemps russe a-t-il des chances de
fleurir suite à son bourgeonnement hivernal et après cette énième parodie électorale ?Il faut
oublier toute comparaison avec les printemps arabes. Elles n'ont pas beaucoup de sens lorsque l'on connaît la Russie. Une majorité des manifestants de l'opposition ont une allergie totale à l'idée de révolution. Ils réclament le respect de leurs droits civiques et de leur aspiration à la liberté (d'expression, d'entreprise...). Les leaders de la contestation s'interrogent sur la suite à donner à leur mouvement. Un grand rassemblement est prévu ce soir, lundi, place Pouchkine, au coeur de Moscou. Il s'agit de montrer que la présidentielle n'était qu'un événement technique, la simple validation du retour de Vladimir Poutine au pouvoir , annoncé à l'automne. L'opposition réclame la libération d'une trentaine de prisonniers politiques, dont Mikhaïl Khodorkovski , l'ancien patron du groupe pétrolier Ioukos. Elle espère également que de nouvelles élections législatives seront organisées d'ici à un an.Cyriaque : L'opposition à Poutine peut-elle se
structurer d'ici aux prochaines élections intermédiaires ?Le
pouvoir a donné un signal d'ouverture en faisant voter en première lecture à la Douma, une nouvelle loi sur les partis politiques, leur permettant de s' enregistrer plus facilement. Ce matin même, le président russe Dmitri Medvedev a demandé au ministère de la justice de justifier , d'ici au 15 mars, l'interdiction d'enregistrements de la formation d'opposition Parnas. Toutefois, certaines figures de l'opposition restent sceptiques sur ces signaux d'ouverture du pouvoir . L'avocat blogueur Alexeï Navalny ne veut pas pour l'instant envisager la création d'un parti politique classique. Il préfère travailler sur l'idée d'un fonds anti-corruption, une thématique qui lui vaut aujourd'hui une très grande popularité parmi les manifestants.alexis : Est-il possible tout de même que la population russe se soulève suite à cette élection ?
L'idée d'un soulèvement paraît hautement improbable. Les manifestants ne sont pas des citoyens désespérés et à bout de ressources, prêts à tout. Ce sont les classes moyennes qui se sont enrichies, ont acheté, ont voyagé depuis dix ans. Ils rejettent majoritairement toute idée de violence. Alexeï Navalny lui-même n'appelle pas à l'insurrection, il pense que le régime est condamné à terme en raison de son autisme et de son inefficacité.
TedKvlkv : Le bilan économique de Vladimir Poutine est-il toujours de nature à lui
asseoir une légitimité au détriment de la démocratie ?La grande nouveauté du mouvement contestataire depuis décembre réside justement dans le refus de dizaines de milliers de Russes de se
contenter du statut de consommateur au détriment de leurs droits civiques. Le bilan économique de Vladimir Poutine est très décrié et compris parmi des personnes proches du pouvoir . La Russie s'est appuyée depuis dix ans sur un baril de pétrole autour de 100 dollars voire 140. Cette manne a caché largement l'absence de réformes structurelles, de modernisation de l'appareil d'Etat. Le niveau de corruption est devenu insupportable pour une grande majorité de Russes.rebardy : Et Prokhorov ? Ne pensez-vous pas qu'il peut
participer à structurer cette opposition ? Qu'est-ce qui le motive ?Mikhaïl Prokhorov était la seule offre nouvelle dans cette élection présidentielle. A Moscou, il a recueilli une voix sur cinq, et ce malgré les fraudes. Malgré ce bon résultat, il n'a pas réussi à se
défaire de deux handicaps. Le premier est son statut social, son titre d'oligarque, un terme très marqué années 1990 et très impopulaire. Le second handicap est lié aux conditions de son entrée en politique. Il est généralement vu comme un projet du régime, qui l'avait encouragé dès 2011 à entrer en politique. Aucun oligarque ne s'y était risqué auparavant, instruit par les deux procès et la peine de treize ans de prison subie par Mikhaïl Khodorkovski. Le début de la campagne de Prokhorov a accentué le trouble lorsqu'il se déclarait prêt à travailler avec Vladimir Poutine. Hier soir, toutefois, il a exclu cette hypothèse et annoncé son intention de créer un nouveau parti.Medvedev qui a ordonné aujourd'hui, au lendemain de l'élection de Poutine, de vérifier "le bien-fondé" du jugement dans l'affaire Khodorkovski ?
Karl Marx : Comment interpréter le "revirement" du DmitriIl est bien trop tôt pour Medvedev, qui a perdu toute crédibilité depuis qu'il s'est écarté au profit de son mentor, Vladimir Poutine.
parler de revirement du régime. Cette demande de réexamen par le Parquet général des conditions dans lesquelles l'homme d'affaires a été condamné ne présage en rien d'une révision de sa condamnation. Pour l'heure, il s'agit juste d'un geste symbolique, exécuté par un homme, DmitriMA : Pensez-vous qu'avec le retour de Poutine et ses annonces de campagne, on s'achemine vers un durcissement du régime et davantage de contrôle des libertés notamment d'expression ou plutôt vers l'inverse ?
Cette question-là, toute le monde se la pose actuellement à Moscou. L'interrogation porte sur plusieurs plans: 1) La réforme de la vie politique proposée par Dmitri Medvedev et adoptée en première lecture à la Douma arrivera-t-elle intacte à son terme ? 2) Le pouvoir va-t-il accentuer la pression policière, administrative et capitalistique sur les médias indépendants, à l'instar de la radio Echo de Moscou ou bien la chaîne de télévision Dojd ? 3) Les conditions pour organiser des rassemblements dans les grandes villes seront-elles durcies ? Une chose reste certaine, l'éveil civique des classes moyennes depuis décembre n'est pas un phénomène temporaire.
Maks : A quoi peut-on s'
attendre , d'un point de vue international, de la part de Poutine pour ce nouveau mandat ?Sa politique étrangère s'inscrira dans la continuité de la ligne de Moscou depuis dix ans. Vladimir Poutine a été très marqué, voire traumatisé, par les "révolutions de couleurs" dans l'ancien espace soviétique. Il compte
renforcer les liens avec les pays voisins en créant une Union eurasienne. Pour l'heure, existe une Union douanière avec le Kazakhstan et la Biélorussie. Le dossier syrien est symbolique du refus de Moscou de faciliter l'agenda occidental. Enfin, il est à noter qu'au cours de la campagne, y compris dans son discours hier soir, Vladimir Poutine a parlé à l'envi des tentatives d'ingérence étrangère (sans préciser lesquelles) dans les affaires intérieures russes.noon : Sur la question syrienne, la Russie pourrait-elle
retirer son veto ?C'est peu vraisemblable. Plusieurs raisons à cela: 1) La Syrie est l'allié principal de la Russie dans la région. 2) Moscou se dit scandalisé par le détournement de la résolution adoptée aux Nations unies sur la Libye. Selon les Russes, l'opération occidentale aurait largement dépassé la simple assistance aux habitants de Benghazi en danger. 3) Le régime russe se méfie comme de la peste de tout soulèvement populaire menaçant de
renverser un régime. Notons que les télévisions russes insistent beaucoup plus lourdement que les chaînes européennes sur les orientations islamistes dures des combattants en Syrie.Luberon : Est-il possible que la justice russe ouvre une enquête pour corruption et détournement d'abus de biens sociaux vis-à-vis de Vladimir Poutine ? Son statut de président lui assure-t-il l'immunité ?
Il faut se
représenter le régime russe comme un pouvoir féodal avec à son sommet Vladimir Poutine. Les institutions comptent beaucoup moins que les hommes, les lois importent beaucoup moins que les rapports de forces. La justice est assujettie au pouvoir politique. Tant que Vladimir Poutine sera au pouvoir , il n'y a aucune chance qu'elle se retourne contre lui. Il faut se souvenir des conditions dans lesquelles il était arrivé au Kremlin, après la démission de Boris Eltsine le 31 décembre 1999. La "famille", le clan Eltsine avait promu Poutine, alors patron des services secrets (FSB), en échange d'une immunité pour tous ses membres. Malgré ses innombrables diatribes, depuis dix ans, contre les pillages des années 1990, Vladimir Poutine n'a jamais ordonné la moindre enquête contre l'un des dirigeants de l'époque.dortmunder : Medvedev sera-t-il premier ministre ?
Vladimir Poutine a confirmé récemment l'échange de postes entre les deux hommes, annoncé à l'automne 2011. Pourtant, certains proches de Dmitri Medvedev lui ont déconseillé d' accepter le poste de premier ministre, en estimant qu'il n'aurait pas de marge de manoeuvre.
Zita : Comment les médias français peuvent-ils
accorder autant d'importance aux propos d' Alexei Navalny , alors que ceux de Marine le Pen, très proches dans leur contenus, sont en général décriés ?La question est intéressante car Alexeï Navalny est surtout connu en Russie dans les grands centres urbains mais très peu dans la Russie dite profonde. On souligne souvent ses positions nationalistes. Il a effectivement tenu des discours très durs sur l'immigration en provenance des pays d'Asie centrale et du Caucase. Aujourd'hui, il souhaite surtout
insister sur la gabegie financière en Tchétchénie ou au Daghestan voisin. Il dénonce la corruption très élevée dans ces régions. Il faut souligner que certaines de ses prises de position nationalistes sont rejetées par de nombreux manifestants aux vues beaucoup plus tempérées.