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Vladimir Poutine n'est pas encore installé au Kremlin pour son troisième mandat que déjà le ton s'est durci. Certes, la Russie a étonné, jeudi 15 décembre, en dévoilant, après neuf mois d'impasse, le texte d'une résolution condamnant la violence perpétrée en Syrie "par toutes les parties, y compris l'usage de la force par les autorités syriennes".
Pour Moscou, ce sursaut est guidé par un pragmatisme de dernière minute car, à l'évidence, les jours du régime syrien sont comptés. Les discutions sur la Syrie ne font que commencer, mais le porte-avions russe Amiral-Kouznetsov continue de mouiller au large de Tartous, la base navale russe en Syrie. Il a été envoyé récemment en Méditerranée "pour éviter au président honni de l'Occident, Bachar Al-Assad, une répétition du scénario libyen", selon le magazine russe The New Times.
Moscou a dépêché à Damas, en novembre 2011, le patriarche Kirill, qui ne manqua pas de louer "le grand esprit de tolérance de la société syrienne". Pendant la visite du chef religieux orthodoxe, quarante personnes furent tuées au cours d'affrontements.
Les troubles en Syrie font les beaux jours du complexe militaro-industriel. Ainsi, au début de décembre, Moscou a livré à Damas des missiles de croisière, une livraison prévue dans le cadre d'un contrat conclu en 2007, mais sans cesse reportée depuis lors. Désormais, c'est fait.
Par principe, la Russie est hostile au renversement des tyrans, perçu comme le résultat d'une ingérence étrangère dans les affaires des Etats, les peuples étant, par nature, dénués de la moindre faculté de jugement, incapables de se révolter autrement que par le biais d'une manipulation étrangère. Tel est le mode de pensée du gouvernement russe.
Admirative des dictateurs patentés de la planète, une grande partie de la population russe, jamais émancipée de la propagande soviétique, voue un véritable culte à Mouammar Kadhafi, souvent décrit comme "le protecteur des valeurs occidentales dans le monde arabe". Il fallait voir avec quelle vigueur la diplomatie russe a réclamé une enquête internationale sur la mort du dictateur libyen ! Une proposition qui fait sourire, quand on sait combien la justice russe est peu pressée de retrouver les commanditaires des assassinats de la journaliste Anna Politkovskaïa (7 octobre 2006) et de la militante des droits de l'homme Natalia Estemirova (15 juillet 2009).
En dépit de l'apparition sur la scène intérieure russe d'un mouvement de contestation contre la "démocratie dirigée" de Vladimir Poutine, les choses ne sont pas près de changer. Au contraire, le véritable maître du Kremlin, entré en campagne électorale en vue de la présidentielle du 4 mars 2012, vient de retrouver ses accents antiaméricains, dénonçant le "diktat" de Washington et la mentalité de "guerre froide" des Occidentaux.
"Nous aimerions être alliés aux Etats-Unis, mais ce que je vois aujourd'hui n'est pas une alliance, il me semble que l'Amérique ne veut pas d'alliés mais des vassaux", a déclaré le premier ministre russe à l'occasion de sa séance annuelle de "questions-réponses" avec ses concitoyens, diffusée en direct à la télévision, le 15 décembre. A l'évidence, il s'agit d'une posture du "chef" en campagne, soucieux de séduire un électorat de plus en plus tenté de donner ses voix au Parti communiste (19 % des voix aux législatives du 4 décembre contre 11,5 % à celles de 2007). Mais force est de constater que la Russie n'a jamais renoncé à ses chevaux de bataille.
Obstruction sur le dossier syrien, nouvelle raideur sur celui du nucléaire iranien, refus, le 8 décembre, de signer la déclaration de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe sur les libertés fondamentales dans la sphère Internet, menace de réinstaller des missiles aux frontières de l'Europe : les relations avec l'Occident se tendent.
Rien ne va plus, non plus, avec les Etats-Unis. Le reset, politique de relance des relations avec le Kremlin instaurée par Barack Obama ? "Autant faire une croix dessus", écrit le journaliste Boris Iounanov dans le magazine New Times du 12 décembre. "Les événements en Libye et en Syrie prouvent que la Russie devrait reconsidérer le choix de ses partenaires", affirme l'économiste Vladislav Inozemtsev dans l'hebdomadaire Ogoniok du 21 novembre. "Il suffit de voir ce que deviennent les promesses faites par la Biélorussie à Moscou pour comprendre que les moyens investis dans ce genre d'Etat seront perdus", poursuit-il.
Le Kremlin ne l'entend pas de cette oreille. L'union avec la Biélorussie, en construction depuis 1997, est en passe d'aboutir. Pour son troisième mandat, Vladimir Poutine a une grande ambition diplomatique : créer une Union eurasienne, autrement dit une confédération d'Etats postsoviétiques capables de rivaliser avec l'Union européenne et les Etats-Unis. Dessinée le 4 octobre dans un article des Izvestia, cette union verra le jour par étapes. Premier rendez-vous : le 1er janvier 2012, avec la création d'un espace économique commun entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan, liés depuis 2009 par un accord d'union douanière.
Selon Vladimir Poutine, ce marché "colossal de 165 millions d'habitants, avec un espace juridique unique, la libre circulation des capitaux, des services et des individus deviendra un pont efficace entre l'Europe et la région Asie-Pacifique". Mieux encore, l'"union" devrait permettre à ses membres "d'intégrer l'Europe plus rapidement et à partir d'une position bien plus forte".
Marie Jégo